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Steven Spielberg

 

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Tom Hanks

 

Pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre mondiale comme toile de fond de votre nouveau film ?

J'estime qu'il s'agit de l'événement historique le plus important de notre siècle. A l'époque, il n'y avait pas trente-six solutions pour résoudre le problème : subir le joug ennemi ou se battre pour préserver nos libertés. Et ensuite à cause de mon père. Toute ma vie, je l'ai entendu se plaindre qu'aucun film n'avait raconté "sa guerre à lui". Il a 81 ans et il s'est battu en Birmanie. Il a toujours reproché aux films de guerre faits par Hollywood à l'époque de se gargariser d'explosions afin d'exciter les spectateurs et les encourager à s'engager dans l'armée. La plupart de ces films étaient produits par les studios comme des outils de propagande pour financer l'emprunt de guerre... A l'occasion de mes recherches autour d'il faut sauver le soldat Ryan, j'ai rencontré pas mal d'anciens combattants : tous m'ont demandé de ne pas diluer ni d'aseptiser le propos du film. Ils m'ont supplié de transcrire la véracité de ce qu'ils avaient enduré, d'être fidèle à la réalité qui avait coûté la vie à leurs copains, et à leur souffrance. A la différence des survivants de la Guerre du Vietnam, qui ont bénéficié d'aide médicale appropriée suite au Syndrome post-traumatique, les Gls, eux, sont restés en plan après la fin du conflit. J'ai donc voulu raconter leur histoire à eux, et non pas la version hollywoodienne de ce qui leur était arrivé.

 

Quelle était votre ambition en tant que cinéaste en réalisant ce film ?

D'être avant tout aussi honnête et fidèle à la vérité historique que possible, sans me préoccuper de considérations commerciales. je n'ai pas voulu me contenter de réaliser un film sans prendre de risques. En laissant par exemple toute la violence hors cadre, en montrant la mort, le sang qui gicle au ralenti et chorégraphié comme dans tous ces blockbusters estivaux qui ont fini par nous désensibiliser totalement. J'ai donc voulu faire un film "anti-guerre", avec un message pacifiste : montrer la violence graphique pour en dénoncer l'absurdité. Mon intention était de resensibiliser le public. L’idéal pour moi serait qu'en sortant des salles de cinéma après avoir vu Il faut sauver le soldat Ryan, on ne passe plus devant un cimetière d'anciens combattants sans s'arrêter ou avoir une pensée pour eux et leur sacrifice.

 

On sort du film en état de choc, bouleversés, terrifiés, horreur fiés par le carnage subi par ces soldats et le sort de cette patrouille à la recherche du soldat Ryan, seul survivant de quatre frères morts au combat...

C'était voulu, et le dilemme moral que pose le film m'a énormément motivé. Comment justifier le fait de risquer la vie de huit hommes pour en sauver un seul ? Et à quel coût ? Comment les hommes de la patrouille du capitaine Miller vont-ils réagir ? Est-ce que c'est en trouvant le deuxième classe Ryan et en le renvoyant dans ses foyers qu'on va mettre fin au conflit plus rapidement ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une opération de propagande destinée à renforcer le moral du peuple américain ? Tous ces éléments forment une combinaison fascinante.

 

Pourquoi avoir exigé que les acteurs, de Tom Hanks à Edward Burns, subissent un entraînement physique rigoureux lors de la préparation du film ?

Je voulais qu'ils arrivent sur le plateau imbibés de respect pour les soldats qu'ils allaient personnifier. Je voulais qu’ils se comportent, qu'ils bougent, qu'ils manipulent leurs armes, voire qu'ils pensent comme de vrais soldats. Qu'il n'aient surtout pas l'air de stars pouponnées tout juste débarquées de Hollywood. D'autant que pour la séquence du débarquement, ils étaient entourés de figurants, eux-mêmes des engagés de l'armée irlandaise. J'ai donc absolument insisté pour qu'ils soient en forme afin d'être capable de courir chaque jour entre trois et cinq kilomètres devant les caméras.

 

Quel genre de recherches spécifiques avez-vous effectuées en amont du tournage ?

J'ai visionné une trentaine de films de guerre parmi lesquels Bastogne, de William Wellman, A L'Ouest rien de nouveau, de John Sturges, et surtout Le commando de la mort et La gloire et la peur, de Lewis Milestone, que j'adore, ainsi que Les sacrifiés de John Ford. Autant d'œuvres qui ont résisté à l'usure du temps. Avec Il faut sauver le soldat Ryan, j'ai voulu éviter le genre de clichés et des personnages stéréotypés qu'on a l'habitude de voir habituellement.

 

Où avez-vous filmé la spectaculaire séquence du débarquement ?

Sur une plage du comté de Wexford, en Irlande, qui ressemble beaucoup à Omaha Beach en un peu moins large. Le reste du film a été tourné en Angleterre, où la campagne est similaire à la campagne française. J'aurais bien voulu tourner en France, mais le gouvernement français m'a fait savoir que j'aurais à payer 57 % de taxes sur toutes les dépenses effectuées sur place. C'était une manière détournée de me dire d'aller voir ailleurs !

 

De quelle manière avez-vous tourné cette séquence, qui dure vingt-cinq minutes ?

Ça été difficile. je me suis retrouvé aussi désemparé et perdu dans le chaos que les soldats le 6 juin 1944 et les acteurs qui jouaient leurs rôles. J'ai choisi de filmer la séquence comme l'auraient fait les cameramen de guerre : sans idées préconçues. Avec leurs petites caméras Bell and Howell's, ils documentaient le débarquement tout en essayant de sauver leur peau. J'ai voulu recréer cette ambiance de manière aussi réaliste que possible. C'est pour cela que la caméra bouge sans arrêt, qu’elle se trouve au ras du sol, que le cadre est décalé, que parfois le son est étouffé. Un obus qui explose et on devient sourd pendant un temps avant de retrouver l'ouie.

 

Comment étiez-vous capable de décompresser à chaque journée d'un tournage aussi intense ?

Je me dépêchais de rentrer à l'hôtel pour boire énorme choppe de bière irlandaise et j'allais immédiatement me coucher. C'est la première fois que j’ai aussi bien dormi pendant le tournage d'un film. A la différence de La liste de Schindler, où il m'arrivait souvent de perdre tous mes moyens au souvenir de ce qui s'était passé, avec Ryan, je me suis forcé à bien séparer l'horreur de ce que nous devions recréer du reste de ma vie personnelle.

 

Quel genre de rapports avez-vous eu avec les acteurs ?

Pour commencer, quatre d'entre eux, Tom Hanks, Ed Burns, Vin Diesel et Adam Goldberg sont aussi réalisateurs. Alors quand j'étais bloqué, je pouvais leur demander de m'aider. Tous, sauf Tom qui a toujours de bonnes idées, étaient pris de panique et n'osaient pas me faire de suggestions sur le plan de la mise en scène ! Tout au long du tournage, à cause de l'intensité de cette histoire avons développé un lien très fort et une vraie camaraderie. Nous nous sommes épaulés sur le plan émotionnel pour former une véritable équipe soudée par ce que nous étions en train d'expérimenter.

 

 

   

Quelles impressions vous a laissé Steven Spielberg en tant que réalisateur ?

Après l'avoir fréquenté longtemps sur un plan amical, j'ai finalement pu le voir à l'oeuvre dans son élément, c'est-à-dire pendant un tournage. C'est quelqu'un qui vit et respire pour le cinéma. Il s'exprime et réfléchit plus vite que vous et moi en serons jamais capables ! il m'était souvent difficile de suivre ses pensées et d'être à la hauteur!

 

Est-il très spécifique dans son approche de la mise en scène ?

Il sait ce qu'il veut et comment l'obtenir des acteurs. Et en même temps, il n'hésite pas à les consulter et à les encourager à proposer des suggestions qui pourront améliorer une scène. Steven est un cinéaste très intelligent qui sait parfaitement comment tirer avantage de toute situation. Pas question pour lui de rester assis sur son fauteuil à diriger de manière dictatoriale.

 

Y a-t-il eu des moments d'affrontement ?

Non, pas à proprement parler. Mais il nous est arrivé de lui faire remarquer que certains détails de comportement de nos personnages nous paraissaient moins appropriés ici ou là. Par exemple dans la manière de démonter et de nettoyer nos armes, ou de nous déplacer en formation. A chaque fois, il a été réceptif Surtout en ce qui me concerne, je ne voulais pas qu'à cause de notre amitié, il n'ose pas me dire si j'étais mauvais dans une scène.

 

Steven Spielberg a exigé qu'avant le tournage vous subissiez un entraînement marathon de préparation militaire ("bootcamp") sous l'égide du capitaine Dale Dye, un ex-marine. C'était nécessaire, à votre avis ?

Absolument. On peut lire tous les livres et visionner tous les documentaires imaginables sans pour autant être capable de comprendre de manière intrinsèquement palpable ce qu'ont enduré tous ces soldats au moment de la boucherie du débarquement. Une fois sur la plage, c'était comme aller à l'abattoir pour ces jeunes hommes, âgés en majorité de 18 et 19 ans. Ce "bootcamp" a été indispensable pour nous rendre compte de la lourdeur des équipements, du temps nécessaire à parcourir trois kilomètres avec tout ce barda sur le dos. En dépit de l'extrême fatigue, du froid, des conditions difficiles et de nos uniformes trempés par la pluie et qui n'avaient pas le temps de sécher, le savais que c'était la seule opportunité de nous préparer efficacement à ce qui nous attendrait au moment du tournage.

 

Dale Dye a la réputation d'être un coriace qui ne plaisante pas avec ses responsabilités...

Je savais à quoi m'en tenir pour être passé entre ses mains lors de la préparation de Forrest Gump. Avant de commencer Il faut sauver le soldat Ryan, il nous a bien fait comprendre que nous allions personnifier à l'écran les héros tombés au combat pour sauver la démocratie dans le monde, ajoutant qu'il ne nous laisserait pas leur manquer de respect en nous comportant en mauviettes. Et qu'il était hors de question de nous contenter d'être des acteurs jouant aux soldats en faisant semblant. Et il a tenu parole !

 

En quoi a consisté l'entraînement ?

Imaginez une sorte de parcours du combattant de cinq jours d'affilée, avec réveil aux aurores, marches forcées, repas uniquement composés de rations alimentaires, exercices de tir, couchage sous la tente, et ce sans aucune liaison avec l'extérieur. On nous empêchait de savoir où nous nous trouvions, de peur qu'on ait eu en de se sauver ! Nous avons commencé le tournage un jour seulement après la fin de l'entrainement. Nous étions épuisés pour de bon.

 

Votre personnage, le capitaine Miller, reste un homme mystérieux dont on saura peu de choses avant la fin du film. Sa main qui tremble, c'était une idée à vous ?

Non. C'était dans le scénario dès le début, même s'il a eu beaucoup de changements par la suite. je me suis demandé s'il s'agissait simplement un gimmick artificiel destiné à manipuler le public ou bien un élément psychologique réel. Dale Dye m'a raconté avoir connu des tas de soldats atteints de tics nerveux de toutes sortes, dont ils étaient totalement incapables de se débarrasser car causés par le stress énorme et par toute la pression des horreurs subies ou dont ils avaient été témoins au combat.

 

Anthony Hopkins dit qu'une fois dans le costume de son personnage, son travail d'acteur est quasiment fini Vous partagez sa conception ?

Notre travail est de raconter la vérité avant tout. Il y a aussi une grande préparation mentale, même si une partie du travail est forcément dictée par le scénario et le metteur en scène. Les détails viennent ensuite, et c'est ce qui fait la différence.

 

Avez-vous visité les plages du débarquement en Normandie ?

Oui, à deux reprises. je me suis rendu au cimetière d'Omaha Beach plusieurs mois avant le début du tournage pour me rendre compte de la disposition des lieux. Toutes ces croix, c'était très émouvant. J'ai pris des photos. Ma seconde visite a eu lieu le dernier jour du tournage, une fois le film terminé, et soudain, ça n'a plus seulement représenté pour moi des rangées de croix blanches. Cette fois, j'ai vraiment eu la vision des corps de tous ces hommes enterrés sous l'herbe. Et une compréhension bien plus vivace de l'ampleur tragique de leur sacrifice.

 

Certains ne manqueront pas de critiquer l'extrême violence graphique du film. Est-elle légitime, selon vous ?

Pour commencer, il s'agit d'un film violent mais sans violence gratuite. On y voit beaucoup d'explosions, mais aucune n'est sublimée. On assiste à des échanges de coups de feu et ce n'est pas beau à voir : la balle jaillit du canon du fusil en faisant un bruit fracassant, on la voit transpercer un crâne humain et, croyez-moi, rien n'est moins glamoureux, surtout lorsqu'il s'agit de la tête de quelqu'un avec lequel vous venez de passer vingt minutes à l'écran. Steven n'a jamais cherché à glorifier cette violence, mais s'en est plutôt servi de manière emblématique. Il s'est contenté de reproduire l'intensité de ce qui 'est passé dans la réalité. Ce n'est pas beau à voir mais certainement nécessaire pour faire comprendre que la violence, ce n'est pas un jeu vidéo.

 

Ce film ne ressemble pas aux films typiques sur la Seconde Guerre mondiale produits par Hollywood, qui glorifiaient des héros invincibles à la John Wayne.

Des films tels que Le jour le plus long ou Les douze salopards présentaient la guerre dans un contexte différent, célébrant la victoire sur la tyrannie en accentuant la mythologie des événements. Faire la guerre représente une expérience incroyable, qui marque toute une vie. Ce n'est donc pas étonnant que la génération qui a participé à la Seconde Guerre mondiale ait du mal à en parler. Comment peut-on arriver à supporter, et à survivre, après un tel impact psychologique ? Ce n'est pas seulement ce. dont vous êtes témoin, mais les choix que vous êtes amené à prendre. A un moment, mon personnage parle des hommes qu'il a perdus sous son commandement. C'est un sentiment horrible mais il doit également songer  à ceux qu'il a du tuer..

 

Quel message avez-vous retenu du film sur un plan personnel ?

Le film pose la question philosophique de savoir si cela vaut la peine de sacrifier huit hommes pour en sauver un seul. Je reste encore incapable de trouver une réponse catégorique même si je suis sorti du film avec le sentiment d’avoir mieux perçu le sacrifice de ceux qui ne sont pas revenus…