Quelles
impressions vous a laissé Steven Spielberg en tant que réalisateur ?
Après l'avoir fréquenté longtemps sur un plan amical, j'ai finalement pu le voir à
l'oeuvre dans son élément, c'est-à-dire pendant un tournage. C'est quelqu'un qui vit et
respire pour le cinéma. Il s'exprime et réfléchit plus vite que vous et moi en serons
jamais capables ! il m'était souvent difficile de suivre ses pensées et d'être à la
hauteur!
Est-il très spécifique dans son approche de la mise en
scène ?
Il sait ce qu'il veut et comment l'obtenir des acteurs. Et en même temps, il n'hésite
pas à les consulter et à les encourager à proposer des suggestions qui pourront
améliorer une scène. Steven est un cinéaste très intelligent qui sait parfaitement
comment tirer avantage de toute situation. Pas question pour lui de rester assis sur son
fauteuil à diriger de manière dictatoriale.
Y a-t-il eu des moments d'affrontement ?
Non, pas à proprement parler. Mais il nous est arrivé de lui faire remarquer que
certains détails de comportement de nos personnages nous paraissaient moins appropriés
ici ou là. Par exemple dans la manière de démonter et de nettoyer nos armes, ou de nous
déplacer en formation. A chaque fois, il a été réceptif Surtout en ce qui me concerne,
je ne voulais pas qu'à cause de notre amitié, il n'ose pas me dire si j'étais mauvais
dans une scène.
Steven Spielberg a exigé qu'avant le tournage vous subissiez un
entraînement marathon de préparation militaire ("bootcamp") sous l'égide du
capitaine Dale Dye, un ex-marine. C'était nécessaire, à votre avis ?
Absolument. On peut lire tous les livres et visionner tous les documentaires
imaginables sans pour autant être capable de comprendre de manière intrinsèquement
palpable ce qu'ont enduré tous ces soldats au moment de la boucherie du débarquement.
Une fois sur la plage, c'était comme aller à l'abattoir pour ces jeunes hommes, âgés
en majorité de 18 et 19 ans. Ce "bootcamp" a été indispensable pour nous
rendre compte de la lourdeur des équipements, du temps nécessaire à parcourir trois
kilomètres avec tout ce barda sur le dos. En dépit de l'extrême fatigue, du froid, des
conditions difficiles et de nos uniformes trempés par la pluie et qui n'avaient pas le
temps de sécher, le savais que c'était la seule opportunité de nous préparer
efficacement à ce qui nous attendrait au moment du tournage.
Dale Dye a la réputation d'être un coriace qui ne plaisante pas
avec ses responsabilités...
Je savais à quoi m'en tenir pour être passé entre ses mains lors de la préparation
de Forrest Gump. Avant de commencer Il faut sauver le soldat Ryan, il nous a
bien fait comprendre que nous allions personnifier à l'écran les héros tombés au
combat pour sauver la démocratie dans le monde, ajoutant qu'il ne nous laisserait pas
leur manquer de respect en nous comportant en mauviettes. Et qu'il était hors de question
de nous contenter d'être des acteurs jouant aux soldats en faisant semblant. Et il a tenu
parole !
En quoi a consisté l'entraînement ?
Imaginez une sorte de parcours du combattant de cinq jours d'affilée, avec réveil aux
aurores, marches forcées, repas uniquement composés de rations alimentaires, exercices
de tir, couchage sous la tente, et ce sans aucune liaison avec l'extérieur. On nous
empêchait de savoir où nous nous trouvions, de peur qu'on ait eu en de se sauver ! Nous
avons commencé le tournage un jour seulement après la fin de l'entrainement. Nous
étions épuisés pour de bon.
Votre personnage, le capitaine Miller, reste un homme mystérieux
dont on saura peu de choses avant la fin du film. Sa main qui tremble, c'était une idée
à vous ?
Non. C'était dans le scénario dès le début, même s'il a eu beaucoup de changements
par la suite. je me suis demandé s'il s'agissait simplement un gimmick artificiel
destiné à manipuler le public ou bien un élément psychologique réel. Dale Dye m'a
raconté avoir connu des tas de soldats atteints de tics nerveux de toutes sortes, dont
ils étaient totalement incapables de se débarrasser car causés par le stress énorme et
par toute la pression des horreurs subies ou dont ils avaient été témoins au combat.
Anthony Hopkins dit qu'une fois dans le costume de son
personnage, son travail d'acteur est quasiment fini Vous partagez sa conception ?
Notre travail est de raconter la vérité avant tout. Il y a aussi une grande
préparation mentale, même si une partie du travail est forcément dictée par le
scénario et le metteur en scène. Les détails viennent ensuite, et c'est ce qui fait la
différence.
Avez-vous visité les plages du débarquement en Normandie ?
Oui, à deux reprises. je me suis rendu au cimetière d'Omaha Beach plusieurs mois
avant le début du tournage pour me rendre compte de la disposition des lieux. Toutes ces
croix, c'était très émouvant. J'ai pris des photos. Ma seconde visite a eu lieu le
dernier jour du tournage, une fois le film terminé, et soudain, ça n'a plus seulement
représenté pour moi des rangées de croix blanches. Cette fois, j'ai vraiment eu la
vision des corps de tous ces hommes enterrés sous l'herbe. Et une compréhension bien
plus vivace de l'ampleur tragique de leur sacrifice.
Certains ne manqueront pas de critiquer l'extrême violence
graphique du film. Est-elle légitime, selon vous ?
Pour commencer, il s'agit d'un film violent mais sans violence gratuite. On y voit
beaucoup d'explosions, mais aucune n'est sublimée. On assiste à des échanges de coups
de feu et ce n'est pas beau à voir : la balle jaillit du canon du fusil en faisant un
bruit fracassant, on la voit transpercer un crâne humain et, croyez-moi, rien n'est moins
glamoureux, surtout lorsqu'il s'agit de la tête de quelqu'un avec lequel vous venez de
passer vingt minutes à l'écran. Steven n'a jamais cherché à glorifier cette violence,
mais s'en est plutôt servi de manière emblématique. Il s'est contenté de reproduire
l'intensité de ce qui 'est passé dans la réalité. Ce n'est pas beau à voir mais
certainement nécessaire pour faire comprendre que la violence, ce n'est pas un jeu
vidéo.
Ce film ne ressemble pas aux films typiques sur la Seconde Guerre
mondiale produits par Hollywood, qui glorifiaient des héros invincibles à la John
Wayne.
Des films tels que Le jour le plus long ou Les douze salopards
présentaient la guerre dans un contexte différent, célébrant la victoire sur la
tyrannie en accentuant la mythologie des événements. Faire la guerre représente une
expérience incroyable, qui marque toute une vie. Ce n'est donc pas étonnant que la
génération qui a participé à la Seconde Guerre mondiale ait du mal à en parler.
Comment peut-on arriver à supporter, et à survivre, après un tel impact
psychologique ? Ce n'est pas seulement ce. dont vous êtes témoin, mais les choix que
vous êtes amené à prendre. A un moment, mon personnage parle des hommes qu'il a perdus
sous son commandement. C'est un sentiment horrible mais il doit également songer à
ceux qu'il a du tuer..
Quel message avez-vous retenu du film sur un plan personnel
?
Le film pose la question philosophique de savoir si cela vaut la peine de sacrifier
huit hommes pour en sauver un seul. Je reste encore incapable de trouver une réponse
catégorique même si je suis sorti du film avec le sentiment davoir mieux perçu le
sacrifice de ceux qui ne sont pas revenus