MARILYN MONROE
SA DERNIÈRE INTERVIEW
Merci à Erich
DEPUYDT pour m'avoir permis de mettre
cette interview dans mon site
N'hésitez pas à visiter son site, il est excellent.
Elle s'est livrée
sous l'objectif du photographe Allan Grant, en juillet 1962, à Richard Meryman,
journaliste de "Life"
qui a fidèlement retranscrit ses paroles.
Quelquefois je sors, pour faire des courses
ou simplement pour voir comment sont les gens, avec juste un foulard, un polo, pas
maquillée, et je surveille ma démarche. Eh bien, malgré cela, il y a toujours un
garçon, un peu plus dégourdi que les autres, qui dit à son copain: " Hé! minute!
tu sais qui c'est, celle-là? ". Et aussitôt ils se mettent à me suivre. Dans
le fond, ça m'est égal. Je comprends très bien que les gens veuillent se rendre compte
que vous existez réellement. Il faut les voir, les garçons - même les petits gosses -,
leur visage s'éclaire, ils disent : " Ben ça, alors ! " et ils
filent raconter l'histoire à leurs copains.
Les messieurs, eux, m'abordent en
me disant : " Attendez une seconde.
Je vais prévenir ma femme. " Vous leur avez changé toute leur journée.
Le matin, lorsque je mets le nez dehors très tôt, et que je croise les éboueurs de la
57e Rue, ils me disent toujours : " Salut, Marilyn! Comment ça va, ce matin
? ". C'est un honneur pour moi et je les aime pour ça. Lorsque je passe, les
ouvriers se mettent à siffler. D'abord, parce qu'ils se disent: " Tiens, tiens,
c'est une fille, elle est blonde et pas mal fichue ", et puis, brusquement, ils
réalisent et ils se mettent à crier: " Bon sang, mais c'est Marilyn
Monroe! " Eh bien, voyez-vous, ce sont des moments où je suis heureuse de me
dire que tous ces gens-là savent qui je suis.
Je ne sais pas
exactement pourquoi, mais je suis sûre qu'ils comprennent que je me donne entièrement à
ce que je fais - aussi bien à l'écran que dans la rue - et que, lorsque je leur dis
" Bonjour ", ou " Comment ça va ", je le pense vraiment.
Dans leur tête, ils se disent : "Formidable, j'ai rencontré Marilyn! Et elle m'a
dit bonjour." Seulement, voilà. Lorsqu'on est célèbre, on se heurte à la nature
humaine à l'état brut. La célébrité traîne toujours la jalousie derrière elle.
Il y a des gens qu'on rencontre, comme ça, et qui ont toujours l'air de se dire:
" Mais qui est-ce, cette bonne femme ? Pour qui se prend-elle ? "
Ils ont l'impression que ma célébrité leur donne tous les droits. Même le privilège
de m'aborder et de me dire tout ce qui leur passe par la tête, toutes sortes de choses.
Mais ça ne me blesse
pas. C'est un peu comme s'ils s'adressaient à mes vêtements, pas à
moi. Un jour, je me souviens, je cherchais une maison à acheter. Je vis un écriteau. Je
sonnai. Un homme est sorti, très gentil, très aimable. Il m'a dit : " Oh!
attendez, ne bougez pas ! Je voudrais que ma femme vous rencontre. " Alors, la
femme est sortie, et elle m'a dit froidement : " Voulez-vous, s'il vous plaît,
débarrasser le plancher. "
Prenez, par exemple, certains acteurs, ou
certains metteurs en scène. S'ils ont Quelque chose à me reprocher, ils ne me le disent
jamais à moi, ils le racontent aux journalistes, parce que, comme cela, ça fait beaucoup
plus de bruit. S'ils viennent m'insulter entre quatre-z-yeux, ça ne tire pas à
conséquence, parce qu'il me suffit de les envoyer au bain, et c'est fini. Mais s'ils le
disent aux journalistes, alors là, ça fait le tour du pays, puis le tour du monde, et
là ils sont contents. Moi, je ne comprends pas que les gens ne soient pas un peu plus
généreux entre eux. Ca m'ennuie de dire cela, mais je crois qu'il y a beaucoup de
jalousie dans ce métier. Tout ce que je peux faire, c'est réfléchir et me dire : "
Moi, ça va. Je sais que je ne suis pas jalouse. Mais eux... " Je ne sais pas si vous
avez lu une fois ce qu'un acteur disait de moi. Il prétendait que, lorsqu'il
m'embrassait, il avait l'impression d'embrasser Hitler. Après tout, c'est son affaire.
Mais si je devais jouer une scène d'amour avec un type qui penserait ça de moi, eh bien!
il ne compterait pas plus pour moi qu'un manche à balai.
Plus les gens sont importants, ou plus
ils sont simples, moins ils se laissent impressionner par la célébrité. Ils ne se
sentent pas obligés d'être agressifs, ou insultants. Ils veulent savoir qui vous êtes
vraiment.
Alors, j'essaie de le leur expliquer. Je n'aime pas leur faire de la peine et leur dire :
" Vous ne pouvez pas me comprendre ". J'ai l'impression qu'ils
comptent sur moi pour leur apporter quelque chose qui n'existe pas dans leur vie de tous
les jours.
Je suppose que c'est leur plaisir, leur évasion, leur fantaisie. Parfois je suis un peu
triste, parce que j'aimerai rencontrer quelqu'un qui me jugerait sur ce que je sens, et
pas sur ce que je suis. C'est agréable de faire rêver les gens, mais j'aimerai bien
qu'on m'accepte également pour moi-même.
Je ne me suis jamais considérée comme une marchandise qu'on
vend ou qu'on achète. Par contre, il y a une quantité de gens qui ne m'ont jamais
considérée autrement, y compris une certaine firme que je ne nommerai pas. Si, parfois,
je donne l'impression d'être un peu persécutée ou quelque chose comme ça. eh bien,
c'est sans doute parce que je le suis. C'est toujours la même histoire. Je m'imagine que
j'ai quelques merveilleux amis, et puis crac! Ça y est! Ils se mettent à faire des tas
de choses - ils parlent de moi à la presse, leurs amis, ils racontent des histoires,
c'est vraiment décevant. Ceux-là sont les " amis " que l'on n'a pas envie de
voir tous les jours. Bien sûr, ça dépend des gens, mais parfois je suis invitée
quelque part un peu pour rehausser un dîner - comme un musicien que l'on invite pour
qu'il joue du piano après le repas. Je me rends toujours compte que je ne suis pas
invitée pour moi-même, que je ne suis rien de plus qu'un ornement.
Lorsque j'avais cinq ans - Je crois d'ailleurs
que c'est à cet âge-là que j 'ai commencé à vouloir être actrice - j'adorais jouer.
Je n'aimais pas beaucoup le monde qui m'entourait parce que je le trouvais triste, mais
j'adorais jouer à la maman, j'avais l'impression que je me créais un monde à moi.
J'allais plus loin d'ailleurs. Je créais mes propres personnages, et si les autres gosses
étaient un peu lents du côté imagination, je leur disais : " Dis donc, Si on
jouait a être ceci ou cela? Moi je serai Untel et toi tu seras Untel. Ce serait drôle,
non " Et les autres disaient : " Oh oui! " Et alors moi, je disais : "
Ça, ce sera un cheval et ça ce sera, je ne sais pas, moi, n'importe quoi ", et on
s'amusait, c'était drôle. Lorsque j'ai appris que c'était ça, jouer la comédie, je me
suis dit que c'était cela que je voulais faire plus tard - m'amuser, autrement dit. Mais
après j'ai grandi, et je me suis rendu compte que ce n'était pas aussi facile. Il y a
toujours quelqu'un pour vous rendre la chose très difficile. C'est très dur de vouloir
s'amuser. Lorsque j'étais petite, certaines familles qui m'avaient adoptée m'envoyaient
au cinéma pour que je débarrasse le plancher. Je m'asseyais au premier rang, et je
passais là toute la journée et une bonne partie de la soirée. Une petite fille toute
seule devant cet immense écran, et j'adorais ça. J'aimais tous ces hommes et ces femmes
qui bougeaient devant moi, rien ne m'échappait, et je n'avais même pas de chewing-gum.
J'avais l'impression que je vivais en dehors du
monde que tout était fermé pour moi, et puis brusquement, lorsque j'atteignis mes onze
ans, le monde entier s'ouvrit devant moi. Même les filles commencèrent à me remarquer.
Elles pensaient : " Hmmmm, attention! Voilà de la concurrence. " J'avais quatre
kilomètres à faire pour aller à l'école. Quatre kilomètres aller, quatre kilomètres
retour; et c'était chaque fois une promenade merveilleuse. Tous les hommes klaxonnaient
sur mon passage, vous savez, des ouvriers qui allaient au travail ou qui en revenaient.
Ils me faisaient des signes, et je leur répondais.
Le monde m'était ouvert, et il était plein d'amitié.
Tous les gosses qui livraient les journaux
venaient me voir dans la maison où j'habitais. Moi, j'étais toujours perchée sur une
branche d'arbre, et je portais une sorte de sweater - à cette époque-là, je n'avais pas
encore réalisé la valeur que peut avoir un sweater pour une fille - mais je commençais
tout de même à comprendre. Alors, les gosses venaient me voir sur leur bicyclette et ils
me donnaient les journaux gratuitement et cela faisait bien plaisir à la famille. Pendant
ce temps, moi, j'étais sur ma branche d'arbre, et je devais sûrement avoir l'air d'un
singe.
Je n'osais pas descendre, mais quand je le faisais, j'allais me promener avec les garçons
sur le trottoir, les mains dans le dos, le nez baissé, donnant des coups de pied dans les
feuilles mortes, parlant parfois, mais écoutant surtout.
Et, parfois, les gens chez qui je vivais se
faisaient du mauvais sang parce que je riais trop fort. Ils s'imaginaient sans doute que
j'étais hystérique. Ils ne comprenaient pas que j'avais une merveilleuse impression de
liberté parce que j'osais demander aux garçons : " Prête moi ta
bicyclette " et qu'ils me répondaient : " Oui, bien sûr ".
Je partais dans la rue à toute vitesse en riant comme une folle ; avec le vent dans la
figure, tandis que les garçons restaient sur le trottoir en attendant que je revienne.
J'aimais le vent sur ma figure. Ça me caressait. Mais c'était comme un instrument à
double tranchant. Lorsque j'ai commencé à voir plus clair, je me suis rendu compte que
je jouais un jeu dangereux et que les hommes se figurent des tas de choses. Ils ne se
contentaient pas d'être gentils. Bien vite, ils deviennent trop gentils. Ils s'attendent
toujours à obtenir beaucoup pour pas grand-chose.
Quand je fus plus grande, j'allais souvent au
théâtre chinois de Grauman - un théâtre de Los Angeles où les grandes vedettes,
lorsqu'elles sont consacrées viennent imprimer leurs pieds nus dans le ciment frais. Je
plaçais mon pied dans les empreintes et je me disais : " Oh oh ! il est trop
grand. Pauvre fille, jamais ton tour ne viendra. " Ça m'a fait une drôle
d'impression le jour où je l'ai mis pour de bon. C'est ce jour-là que j'ai compris que
rien n'était impossible. C'est dur de devenir une actrice, et c'est la part de création
qu'il y a dans ce métier qui m'exaltait, qui m'empêchait de me décourager. J'aime jouer
la comédie, surtout lorsque je sens que je joue juste. Je crois que j'ai toujours été
un peu trop fantaisiste pour être une femme d'intérieur. Et puis, il fallait aussi que
je mange. Parlons franchement, je n'ai jamais été entretenue, je me suis toujours
entretenue toute seule. Et Los Angeles était ma ville natale, alors lorsqu'on me disait :
" Retourne chez toi ", je pouvais répondre: " Je suis chez
moi ".
Je crois que je me suis rendu compte de ma célébrité le jour où, en
revenant de l'aéroport, j'ai vu mon nom en lettres énormes sur le fronton d'un cinéma.
Je me souviens, j'ai arrêté ma voiture, et je me suis dit : " Grands dieux !
Ce n'est pas possible ! C'est une erreur ! " C'était pourtant là, en grandes
lettres de néon. Alors, je suis restée là à me dire : " C'est donc
ça !" C'était une impression vraiment curieuse. Pourtant, je me souvenais
qu'au studio ils me répétaient tout le temps: " Attention, ne te prends pas
pour une vedette, tu n'es pas une vedette. " Moi, je voulais bien, mais il
n'empêchait que mon nom était là en grandes lettres de néon. Je n'ai vraiment
réalisé que j'étais une star, ou quelque chose de ce genre, que grâce aux
journalistes. Ils étaient toujours gentils avec moi, aimables. Les hommes, pas les
femmes. Ils me disaient : " Vous savez que vous êtes me grande star, la
seule star ", et moi je disais : " Star ? " et eux me
regardaient comme si j'étais brusquement devenue folle. Je crois vraiment que c'est eux,
à leur manière, qui m'ont fait comprendre que j'étais célèbre.
Lorsque j'ai eu le rôle dans " Les
hommes préfèrent les blondes", Jane Russel jouait la brune et moi j'étais la
blonde. Elle touchait 200 000 dollars (100 millions d'AF) pour le film et moi j'en
touchais 500 (250 000 AF) par semaine, mais je ne me plaignais pas. Pour moi c'était
énorme. Je dois dire en passant que Jane Russel avait été merveilleusement gentille
avec moi durant le tournage. La seule chose que je ne pouvais pas obtenir, c'était une
loge. Et je voulais une loge. Je leur disais à tous : " Écoutez quand même!
Ce n'est pas logique ! Je suis la blonde et le film s'appelle " Les hommes
préfèrent les blondes ". Mais eux, ils ne faisaient que me répéter
" Souviens-toi que tu n'es pas une star ", et moi je répondais :
" Je ne sais pas ce que je suis, mais en tout cas, je suis la
blonde! ". Et je dois dire que si je suis une star, c'est au public que je le
dois. Pas au studio qui m'employait , mais au public. Je recevais un courrier
énorme, et lorsque j'allais à une première de film, les propriétaires du cinéma
voulaient toujours faire ma connaissance. Je ne savais pas pourquoi. Ils se précipitaient
et je regardais derrière moi pour voir qui les intéressait tellement, et j'étais morte
de peur.
J'avais parfois l'impression de me payer la tête de quelqu'un, je ne sais pas de qui,
peut-être de moi-même...
J'ai toujours voulu en donner aux gens pour leur argent. C'est valable
pour toutes les scènes que je joue. Même si mon rôle consiste uniquement à entrer dans
une pièce, à dire " Salut ! " et à m'en aller, je m'efforce
toujours de donner le meilleur de moi-même. Bien sûr, il y a des jours terribles. Ceux
où j'ai la responsabilité d'une scène très importante, sur laquelle repose le film
tout entier. Ces jours-là, en allant au studio, je voyais la femme de ménage en train de
nettoyer, et je me disais : " Voilà ce que j'aimerais faire. Mes ambitions dans
la vie s'arrêtent là. " Je suppose que tous les acteurs traversent ce genre de
crise. Il ne suffit pas de vouloir être bon, il faut l'être. On parle toujours du trac
chez les acteurs. Mais lorsque je dis à mon professeur, Lee Strasberg : " Je ne
sais pas ce que j'ai, je me sens un peu nerveuse ", il me répond:
" Le jour où tu ne le seras plus il faudra quitter le métier. C'est cette
nervosité qui prouve que tu es sensible. "
Il y a une chose que peu de gens réalisent. C'est la lutte perpétuelle
que chaque acteur doit livrer contre sa propre timidité. Il y a une voix en nous qui nous
dit jusqu'où nous pouvons nous laisser aller, tout comme un enfant en train de jouer et
qui s'arrête de lui-même lorsqu'il va trop loin. On s 'imagine qu'il suffit d'arriver
sur le plateau et de faire ce qu'il y a à faire. Mais c'est une véritable lutte qu'il
faut soutenir avec nous-mêmes. Moi j'ai toujours été d'une timidité maladive. Il faut
vraiment que je lutte. Un acteur n'est pas une machine et un créateur est avant tout un
être humain. Et un être humain, ça sent, ça souffre, c'est gai ou bien c'est malade.
Comme tous les êtres qui créent, je voudrais avoir un peu plus de contrôle sur
moi-même. Je voudrais qu'il me soit facile d'obéir à un metteur en scène. Lorsqu'il me
dit : " Une larme tout de suite ", je voudrais que cette
larme jaillisse et que ce soit fini. "
Une fois pourtant, deux autres larmes ont suivi la première parce que je
me demandais : " Comment ose-t-il me demander une chose pareille ? "
Savez-vous ce que disait Goethe ? Il disait : " Le talent se développe dans
l'intimité. " Et c'est tellement vrai. Les gens ne réalisent pas à quel point
il est nécessaire pour un acteur de pouvoir parfois être seul. Lorsqu'on joue, c'est un
peu comme si on autorisait les gens pendant un bref moment à partager quelques-uns de nos
secrets intimes. Et c'est pour cela qu'il faut pouvoir être seul lorsque nous ne sommes
pas en scène. Mais les gens sont toujours après vous. On dirait vraiment qu'ils veulent
posséder un petit morceau de vous-même. Je ne sais pas s'ils s'en rendent compte, mais
c'est un peu comme s'ils me disaient " Grr, fais ceci, Grr, fais cela. " Mais
moi je veux rester moi-même et sur mes deux pieds. Lorsqu'on est célèbre, chacune de
vos faiblesses est amplifiée au maximum. Le cinéma devrait se conduire à notre égard
comme une mère dont l'enfant vient tout juste d'échapper à un accident de voiture. Mais
au lieu de nous prendre contre lui et de nous consoler, le cinéma nous punit. C'est pour
cela que l'on n'ose même pas attraper un rhume. Tout de suite, ce
sont les grands cris " Comment
osez-vous attraper un rhume ? " Les directeurs eux, peuvent prendre tous les rhumes
du monde, passer le restant de leurs jours chez eux à téléphoner. Mais que nous les
acteurs nous ayons le toupet d'attraper un rhume, ça, ça les dépasse. Vous savez,
lorsqu'on est malade, on n'est pas très fier. Mais moi je voudrais qu'eux, les
directeurs, soient obligés un jour de jouer une scène avec une grippe ou une forte
fièvre, peut-être qu'ils comprendraient. Je ne suis pas le genre d'actrice qui ne vient
au studio que pour respecter la discipline. Cela n'a aucun rapport avec l'art. Bien sûr
je souhaiterais être un peu plus obéissante. Mais lorsque je viens au studio, c'est pour
jouer, pas pour être enrégimentée ! Après tout, ce n'est pas une école militaire,
c'est un studio de cinéma. Le cinéma, c'est un art, le studio est l'endroit où l'on
exerce cet art, ce n'est pas une usine. Vous voyez, cette sensibilité qui m'aide à jouer
la comédie, c'est elle également qui me fait réagir. Un acteur est un instrument
sensible. Isaac Stern prend un soin jaloux de son violon. Que se passerait-il Si tout le
monde s'amusait à marcher dessus ? Avez-vous remarqué qu'à Hollywood où des millions
et des milliards de dollars ont été gagnés, il n'existe pas de monuments, de musées ?
Personne n a laissé quelque chose derrière soi. Tous ceux qui sont venus là n'ont su
faire qu'une chose, prendre, prendre. Tout le monde a ses problèmes. Il y a même des
gens qui ont des problèmes vraiment angoissants, et pour rien au monde ils ne voudraient
que ça se sache. Or, l'un de mes problèmes à moi est un peu voyant. Je suis toujours en
retard.
Les gens s'imaginent que c'est par arrogance, mais moi je prétends que
c'est exactement le contraire. Je sens que je ne fais pas partie, et que je ne ferai
jamais partie de cette grande cavalcade américaine, où les gens passent leur vie à se
précipiter d'un endroit à l'autre, très, très vite; et sans raison vraiment valable.
Ce qui est important pour moi, c'est d'être prête lorsque je dois jouer la comédie. Il
faut que je me sente sûre de mes moyens.
Je connais des tas de gens qui sont parfaitement capables d'être à l'heure, mais c'est
pour ne rien faire sinon rester assis à se raconter leur vie ou toutes sortes d'autres
âneries. Clark Gable disait de moi " Lorsqu'elle est là, elle est là. Elle
est là tout entière, elle est là pour travailler. "
Lorsqu'on m'a demandé de paraître au Madison Square Garden pour la
soirée d'anniversaire du président Kennedy, je me suis vraiment sentie fière. Lorsque
je suis arrivée sur la scène pour chanter " Bon anniversaire " il y eut un
silence énorme dans le stade, un peu comme si j'étais arrivée en combinaison. A ce
moment, je me suis dit " Mon Dieu, que va-t-il se passer si je n'arrive pas à
chanter ? "
Un silence pareil de la part d'un tel public, cela me réchauffe. C'est comme une sorte de
baiser. A ce moment-là, on se dit " Bon sang ! je chanterai cette chanson, même si
c'est la dernière chose que je puisse faire au monde. Et je la chanterai pour tout le
monde." Et quand je me suis tournée vers les micros, je me souviens que j'ai
regardé le stade dans tous les sens en me disant " Voilà où j'aurais pu être,
quelque part en haut, derrière les poutres, près du plafond après avoir payé mes deux
dollars. "
Après le spectacle, il y eut une sorte de réception. J'étais avec mon
ex-beau-père, Isadore Miller, et je crois que j'ai fait une gaffe lorsqu'on m'a
présentée au président Kennedy. Au lieu de dire " Bonjour, M. le président
", je lui ai dit " Je vous présente mon ex-beau-père, Isadore Miller. "
Moi, je pensais que je lui ferais plaisir en le présentant directement. Il est venu en
Amérique comme immigrant, et il a maintenant quelque chose comme soixante-quinze ou
quatre-vingt ans. Je pensais que c'était le genre de chose qu'il raconterait à ses
petits-enfants. Bien sûr, j'aurais dû dire " Bonjour, M. le président ", mais
j'avais déjà chanté. Alors, vous comprenez... Non?... De toute manière, je crois que
personne ne s'en est rendu compte. La célébrité ce n'est pas toujours rose, et je veux
insister là dessus. Ça ne me gêne pas d'être célèbre à cause de mon charme ou bien
parce que je suis " sexy ". Ce qui me gêne, c'est ce qui entoure ce genre de
célébrité. Je n'oublierai jamais, par exemple, cette femme qui, sur le seuil de sa
maison, me disait " Allez, débarrassez le plancher! " Moi, je pense que la
beauté et la féminité sont des choses qui n'ont pas d'âge, et que le sex-appeal ne se
fabrique pas. Le véritable sex-appeal est basé sur la féminité, et il n'est attrayant
que lorsqu'il est naturel et spontané. C'est sur ce point précis que beaucoup de femmes
se trompent, et c'est pour cela qu'elles manquent le coche. Quand je pense à toutes ces
filles qui essaient de me ressembler, c'est extraordinaire. Elles n'ont pas, comme
dirais-je... Oh ! je sais qu'on peut dire des tas d'âneries à ce sujet en disant
qu'elles n'ont pas ce qu'il faut devant, ou ce qu'il faut derrière, mais ce n'est pas
cela qui compte. Elles n'ont pas ce qu'il faut en elles-mêmes. Les enfants de mon ex-mari
partageaient avec moi le fardeau de ma célébrité. Parfois, ils lisaient des choses
épouvantables sur mon compte et je me faisais un mauvais sang terrible car je craignais
que cela leur fasse de la peine. Je leur demandais de tout me dire, de tout me demander.
J'aimais mieux qu'ils me posent à moi ces questions plutôt que d'aller chercher les
réponses dans les journaux à scandale.
Je voulais aussi qu'ils sachent comment vivent les autres. Je leur
racontais, par exemple, comment je travaillais pour cinq sous par mois en lavant cent
assiettes, et les gamins demandaient : " Cent assiettes ? " Et je leur
répondais: " Non seulement cela, mais il fallait en plus que je les gratte et que je
les nettoie avant de les laver. Puis, il fallait que je les rince et que je les mette à
égoutter. Dieu merci, je n'ai jamais eu à les essuyer. " Les enfants sont très
différents des grandes personnes. Lorsqu'on grandit, on devient parfois amer. Pas
toujours, mais ça arrive souvent. Les enfants eux vous acceptent comme vous êtes. Je
leur disais toujours : " N'admirez pas quelqu'un parce que c'est une grande personne
ou bien parce qu'il vous dit ci ou ça. Observez-le d'abord. " C'est sans doute le
meilleur conseil que je leur ai jamais donné. Observez d'abord les gens, et après
faites-vous une opinion. Je leur disais même d'en faire autant pour moi: " Essayez
de voir si ça vaut le coup de me prendre comme amie. Après vous verrez bien. "
La célébrité, pour moi, ce n'est pas tout le bonheur. C'est très
fugitif, même pour une orpheline. Et j'ai été élevée comme une orpheline. La
célébrité, ce n est pas un repos quotidien. Ça ne vous rassasie pas. C'est un peu
comme le caviar, vous savez. C'est agréable d'en manger, mais pas à tous les repas.
Je n'ai jamais eu l'habitude du bonheur. J'ai pensé un moment que le mariage le donnait.
Voyez-vous, je n'ai pas été élevée comme les autres enfants américains. A eux, dès
leur naissance, le bonheur est dû. Ils y ont droit et c'est normal. Malgré tout, c'est
grâce à ma célébrité que j'ai pu rencontrer et épouser deux des hommes les plus
merveilleux que j'aie jamais rencontrés.
Je ne pense pas que les gens vont se mettre à me détester. En tout cas,
ils ne le feront pas d'eux-mêmes. J'aime les gens. Le " public " me fait un peu
peur, mais les gens, j'ai confiance en eux. Bien sûr, ils peuvent être influencés par
la presse ou par les histoires que le studio fait circuler sur mon compte. Mais je pense
que quand les gens vont au cinéma, ils jugent par eux-mêmes. Nous autres, êtres
humains, nous sommes de drôles de créatures. Et nous avons toujours le droit de nous
faire nos opinions nous-mêmes. Un jour, on a dit de moi que j'étais liquidée, que
c'était la fin de Marilyn : lorsque M. Miller fut jugé pour outrage au Congrès. Il
refusait de donner les noms de ses amis qui
pouvaient avoir des rapports avec les communistes. Un directeur de société
vint me trouver et me dit : " Si vous n'arrivez pas à convaincre votre mari, vous
êtes finie. " Je lui ai répondu : " Je suis fière de la position prise
par mon mari. Je le suivrai jusqu'au bout. " Au fond, être finie, ce doit être un
soulagement. On doit se sent comme un coureur de 100 mètres qui a coupé le fil et qui se
dit avec grand soupir : " Ça y est, c'est terminé. " En fait, rien n'est
jamais terminé. Il faut toujours recommencer, toujours. Mais moi, je crois qu'on obtient
toujours le succès que l'on mérite. Maintenant, je ne vis que pour mon travail, et pour
les quelques amis sur lesquels je puisse vraiment compter. La célébrité passera ? Eh
bien, qu'elle passe. Adieu célébrité ; je t'ai eue, et j'ai toujours su que tu ne
valais pas grand-chose. Pour moi, tu auras été au moins une expérience. Mais tu n'es
pas ma vie.